L'année 1952 marque le début des opérations de rénovation urbaine et d'amélioration de l'habitat menées pâr la ville. Différents îlots insalubres, ayant été identifiés depuis 1909, sont finalement traités et font l'objet des programmes d'aménagement.
La politique urbaine de la ville de ces années, qui sera actualisé dans le PUD (Plan d'Urbanisme Directeur) en 1957 et plus tard dans le SDAU (Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme) en 1968, utilise essentiellement deux modes antagonistes d'aménagement urbain: la restauration et la rénovation. La première, qui suppose que la reconstruction des immeubles respecte, au moins dans sa globalité, l'ancien découpage parcellaire et les anciens alignements, est envisagée pour les quartiers avec une forte valeur historique et architecturale reconnue. La deuxième, qui par contre préconise de supprimer les contraintes issues de l'ancien tracé, ne pouvant s'appliquer aux quartiers centraux, est souhaité pour les arrondissements périphériques, dont l'histoire est encore trop récente et le rôle dans l'économie de la capitale trop faible pour les défendre de la « pioche du démolisseur » (note 1) .
La différence entre ces deux modes a aussi une dimension symbolique: la restauration institue un retour au passé, en l'améliorant, tandis que la rénovation se veut une rupture, le passé étant présenté sous un angle péjoratif.
Si les conséquences eventuellement négatives sur le tissu social des quartiers périphériques comme Belleville sont perçues comme peu importantes pour la ville, on constate de plus une intention même explicite de modifier la composition de leur population.
En juin 1943, M. Baudot, directeur des services d'architecture et d'urbanisme à la préfecture de la Seine, expose clairement cette opinion présentant les grandes lignes des projets d'urbanisme de la ville de Paris. Estimant 500.000 personnes expropriées par les opérations de rénovation, il évalue à la moitié le nombre d'expulsés se relogeant par leurs propres moyens. Pour les 250.000 qui restent à la charge des pouvoirs publiques, « on escompte la possibilité de reloger [dans les espaces anciennement insalubres] 90.000 personnes. Ce ne seront pas les mêmes que celles que nous aurons évincées, mais il se produira un mouvement de population grâce auquel les anciens habitants des îlots insalubres profiteront des locaux rendus disponibles par les nouveaux occupants.»[P.Simon, 1994, p. 153].
La première série d'opérations de rénovation, concernant l'îlot '4792' (1956-1965), le secteur « Couronnes » (achevé à la fin des années 1960) et le 'Nouveau Belleville' (achevé en 1975), respecte en fait ces principes. Les secteurs '4792' et 'Couronnes' comptent 2188 logements démolis, remplacées par 1754 logements neufs. Le 'Nouveau Belleville', dont les archives originelles ne sont plus disponibles, est passé de 1100 logements soit 2500 habitants en 1954 à 734 logements occupés par 1770 personnes en 1975 selon les recensements.
Secteurs 'Couronnes' et 'Nouveau Belleville': la rupture d'échelle avec le quartier est évidente. |
L'impact sur le tissu urbain de ces opérations n'est pas négligeable. Le vieux bâti de cette zone était constitué d'immeubles de hauteur variable entre 3 et 5 étages. L'absence de planification de leur construction avait engendré une organisation trés variée, un vrai labyrinthe d'impasses et de corridors reliants aux cours et aux caves de facon toujours différente.
L'opération d'aménagement effectuée a presque rasé complètement les îlots concernés, en construisant 30 grands immeubles (dont 9 atteignant 10 étages) là où il y avait 102 bâtiments précedemment. Dans le « Nouveau Belleville » la hauteur moyenne se situe entre 10 et 15 étages. Le vieux parcellaire est complètement effacé, les étroits passages sont transformés en amples allées et les barres et tours qui viennent d'être construites caractérisent désormais fortement le nouveau paysage urbain.
A cette mutation du bâti s'accompagne la transformation de la population. Les classes ouvrières, majoritaires dans le vieux quartier, ne disposent pas de revenus suffisants pour se permettre d'habiter dans les nouveaux logements, bien qu'il s'agisse de logements sociaux. Les nouveaux logements disposent du confort maximal, là où avant vivait la population la plus défavorisée de Paris. 60% des logements est désormais équipé du téléphone, pour une moyenne de 17% dans le quartier.
Bien tôt ces immeubles vont être occupés par des classes moyennes, qui sont les premières à mettre les pieds dans la Belleville ouvrière. Les habitants originaires, par contre, doivent se déplacer, soit dans d'autres secteurs non rénovés du quartier, soit en banlieue.
Pendant cette évolution des quartiers rénovés, d'autres transformations affectent la population du vieux Belleville.
La désindustrialisation ferme les anciennes usines, qui demeurent inutilisées ou changent de destination d'usage. Les ouvriers diminuent, laissant place aux petits artisans et commerçants qui effectuent leurs activités dans les ateliers sur la rue ou à l'intérieur des cours. L'activité artisanale ne doit pas nous tromper sur leur condition sociale: il s'agite toujours de secteurs défavorisés de la société, les ateliers et commerces étant ouverts dans des locaux à loyer très faible. P. Simon explique bien dans sa thèse le mécanisme qui a favorisé l'implantation des ateliers dans les faubourgs ouvriers: «l'organisation propre aux quartiers populaires s'appuie sur une interpénétration entre ateliers et habitat, rendue possible grâce à un mode d'occupation anarchique des parcelles. S'installant en fond de cour sur des terrains déjà rentabilisés par d'autres constructions, les ateliers bénéficient de conditions financières très favorables.»[P.Simon, 1994, p.135] (note 2) .
Les logements, dégradés et inconfortables, maintiennent un loyer très faible, en constituant ce qui est communément appelé le «logement social de fait», étant accessible à des classes qui n'auraient même pas droit aux habitations sociales proprement dites. Leurs revenus en fait les situent au-dessous du degré de solvabilité souhaité par les nouveaux logements.
Vis à vis des conditions économiques des parisiens qui progressent au long de ce siècle, Belleville accueille de plus en plus les nouveaux pauvres, notamment les immigrés qui viennent chercher fortune en France et trouvent ainsi un moyen d'habiter dans la capitale. La population bellevilloise change, le quartier «le plus parisien de Paris» devient cosmopolite, accueillant des importantes communautés juives, maghrébines, chinoises.
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